Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/223

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Différence entre l’esclave et le citoyen (Montesquieu, Rousseau…) : l’esclave est soumis à son maître et le citoyen aux lois. Par ailleurs le maître peut être très doux et les lois très dures : cela ne change rien. Tout gît dans la distance entre le caprice et la règle.

Pourquoi la subordination au caprice est-elle esclavage ? La cause dernière en réside dans le rapport entre l’âme et le temps. Celui qui est soumis à l’arbitraire est suspendu au fil du temps ; il attend (la situation la plus humiliante…) ce qu’apportera l’instant suivant. Il ne dispose pas de ses instants ; le présent n’est plus pour lui un levier pesant sur l’avenir.

Se trouver en face des choses libère l’esprit. Se trouver en face des hommes avilit, si l’on dépend d’eux, et cela, soit que cette dépendance ait la forme de la soumission, soit qu’elle ait la forme du commandement.

Pourquoi ces hommes entre la nature et moi ?

Ne jamais avoir à compter avec une pensée inconnue… (car on est alors livré au hasard).

Remède : en dehors des liens fraternels, traiter les hommes comme un spectacle et ne jamais chercher l’amitié. Vivre au milieu des hommes comme dans ce wagon de Saint-Étienne au Puy… Surtout ne jamais se permettre de rêver l’amitié. Tout se paie. Ne t’attends qu’à toi-même.

À partir d’un certain degré d’oppression, les puissants arrivent nécessairement à se faire adorer