Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/237

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divine formant les hommes pour les rendre capables de recevoir le message du Christ. Cela s’accordait avec l’espoir de la conversion universelle des nations et de la fin du monde comme phénomènes imminents. Mais aucun des deux ne s’étant produit, au bout de dix-sept siècles on a prolongé cette notion de progrès au-delà du moment de la Révélation chrétienne. Dès lors elle devait se retourner contre le christianisme.

Les autres poisons mélangés à la vérité du christianisme sont d’origine juive. Celui-là est spécifiquement chrétien.

La métaphore de la pédagogie divine dissout la destinée individuelle, qui seule compte pour le salut, dans celle des peuples.

Le christianisme a voulu chercher une harmonie dans l’histoire. C’est le germe de Hegel et de Marx. La notion d’histoire comme continuité dirigée est chrétienne.

Il me semble qu’il y a peu d’idées plus complètement fausses. Chercher l’harmonie dans le devenir, dans ce qui est le contraire de l’éternité. Mauvaise union des contraires.

L’humanisme et ce qui s’est ensuivi n’est pas un retour à l’Antiquité, mais un développement de poisons intérieurs au christianisme.

C’est l’amour surnaturel qui est libre. En voulant le forcer, on lui substitue un amour naturel. Mais, inversement, la liberté sans amour surnaturel, celle de 1789 est tout à fait vide, une simple abstraction, sans aucune possibilité d’être jamais réelle.