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clair ; il s’agit de savoir si l’on peut concevoir une organisation de la production qui, bien qu’impuissante à éliminer les nécessités naturelles et la contrainte sociale qui en résulte, leur permettrait du moins de s’exercer sans écraser sous l’oppression les esprits et les corps. À une époque comme la nôtre, avoir saisi clairement ce problème est peut-être une condition pour pouvoir vivre en paix avec soi. Si l’on arrive à concevoir concrètement les conditions de cette organisation libératrice, il ne reste qu’à exercer, pour se diriger vers elle, toute la puissance d’action, petite ou grande, dont on dispose ; et si l’on comprend clairement que la possibilité d’un tel mode de production n’est pas même concevable, on y gagne du moins de pouvoir légitimement se résigner à l’oppression, et cesser de s’en croire complice du fait qu’on ne fait rien d’efficace pour l’empêcher.


ANALYSE DE L’OPPRESSION.


Il s’agit en somme de connaître ce qui lie l’oppression en général et chaque forme d’oppression en particulier au régime de la production ; autrement dit d’arriver à saisir le mécanisme de l’oppression, à comprendre en vertu de quoi elle surgit, subsiste, se transforme, en vertu de quoi peut-être elle pourrait théoriquement disparaître. C’est là, ou peu s’en faut, une question neuve. Pendant des siècles, des âmes généreuses ont considéré la puissance des oppresseurs comme constituant une usurpation pure et simple, à laquelle il fallait tenter de s’opposer soit par la simple expression d’une réprobation radicale, soit par la force armée mise au service de la justice. Des deux manières, l’échec a toujours été complet ; et jamais il n’était plus significatif que quand il prenait un moment l’apparence de la victoire, comme ce fut le cas pour la Révolution française, et qu’après avoir effectivement réussi à faire