Page:Whitman - Feuilles d’herbe, trad. Bazalgette.djvu/96

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Longeant les ornières de la grand’route, la ravine desséchée et le lit du ruisseau,
Sarclant mon carré d'oignons ou binant les rayons de ca­rottes et panais, traversant les savanes, suivant les pis­tes en forêt,
Prospectant, chercheur d’or, incisant les arbres d’un lot que je viens d’acheter,
Brûlé jusqu’à la cheville par le sable ardent, en halant mon bateau sur la rivière aux eaux basses,
Où là-haut sur une branche la panthère va et vient, où le cerf se retourne furieusement contre le chasseur,
Où le serpent à sonnettes chauffe au soleil son long corps flasque sur un roc, où la loutre se repaît de poisson,
Où l’alligator avec ses durs bubons dort dans le bayou,
Où l’ours noir est en quête de racines ou miel, où le castor bat la boue avec sa queue en forme de pagaie ;
Par le sucre qui pousse, par les cotonniers à fleurs jaunes, par les champs de riz bas et humides,
Par la ferme au toit pointu, avec ses dentelures d’écume et les minces cascades qui tombent des gouttières,
Par les plaqueminiers de l’Ouest, par le maïs aux longues feuilles, par le lin délicat aux fleurs bleues,
Par le sarrazin blanc et brun, y fredonnant et bourdonnant avec les autres,
Par le seigle vert sombre qui ondule et se nuance au souffle de la brise ;
Escaladant les montagnes, me hissant avec prudence en me tenant à de basses branches rabougries,
Suivant le sentier tracé dans l’herbe et le chemin battu à travers la feuillée de la brousse,
Là où la caille siffle entre les bois et le champ de blé,
Où la chauve-souris vole dans le soir de juillet, où le grand scarabée doré choit lourdement dans les ténèbres,