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ESCALADES DANS LES ALPES.

éclat que l’œil ébloui soit forcé de se reposer en contemplant quelque masse de rochers noirâtres.

Une heure s’était à peine écoulée depuis que nous avions quitté le col quand nous arrivâmes près de la « Cheminée. » Elle ne ressemblait en rien ce jour-là au passage que j’ai décrit à la page 5. C’était une grande roche plate et polie, resserrée entre deux autres roches non moins plates et non moins polies, avec lesquelles elle formait un angle considérable[1]. Mon guide essaya de l’escalader, mais, quand il eut tordu sa longue personne dans une foule de postures grotesques, il s’écria qu’il ne voulait pas l’entreprendre parce qu’il était sûr de n’y pas réussir. Lorsque je fus monté jusqu’au sommet, sans aucun secours, il s’attacha au bout de notre corde et je m’efforçai de le hisser. Mais il était si maladroit qu’il ne s’aidait en rien, et si lourd que je ne pouvais le soulever ; après plusieurs essais inutiles, il se détacha lui-même et me déclara tranquillement qu’il allait s’en retourner. Je le traitai de poltron et il se permit à son tour d’exprimer son opinion sur moi. Je lui ordonnai de retourner au Breuil et d’y raconter qu’il avait abandonné son monsieur sur la montagne ; mais, comme il fit mine de partir, je me vis obligé de lui adresser mes humbles excuses, et de le prier de ne pas m’abandonner. En effet, si l’escalade de la Cheminée, peu difficile d’ailleurs, n’offrait aucun danger, avec un guide placé au-dessous, il n’en était pas de même de la descente, car le bord inférieur du rocher surplombait d’une manière inquiétante.

Le jour était superbe ; le soleil versait à flots une chaleur bienfaisante ; le vent était tombé ; le chemin paraissait tout tracé ; aucun obstacle insurmontable ne s’offrait à ma vue : mais que pouvais-je faire seul ? Je restais juché au sommet du passage, vivement contrarié de ce contre-temps imprévu, et je demeurai quelque temps irrésolu ; mais, comme je m’aperçus que cette Cheminée était ramonée plus fréquemment qu’il n’était

  1. Selon la description de M. Hawkins, ce passage lui offrit les plus grandes difficultés ; à la vérité, il le trouva couvert de glace, et nous l’en trouvâmes complétement débarrassé.