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CHAPITRE V.

nous fûmes désagréablement surpris d’entendre un bruit mystérieux et précipité qui ressemblait tantôt à celui que fait la neige quand elle est balayée par une soudaine rafale de vent, tantôt au claquement d’un long fouet : cependant la neige et l’air étaient parfaitement calmes. Les nuages orageux, épais et noirs, qui nous dominaient, nous donnèrent un instant à craindre que nos corps ne servissent de conducteurs à l’électricité, aussi fûmes-nous enchantés de trouver un abri dans l’auberge du Breuil, sans avoir été soumis à aucune expérience de ce genre[1].

Nous avions besoin d’un porteur. D’après l’avis de notre hôtelier, nous descendîmes au Breuil à la recherche d’un certain Luc Meynet. Sa maison, d’un aspect misérable, était encombrée des ustensiles nécessaires à la fabrication du fromage, et nous n’y trouvâmes que quelques enfants aux yeux brillants. Comme ils nous dirent que l’oncle Luc allait bientôt rentrer, nous l’attendîmes devant la porte du petit chalet. À la fin, nous aperçûmes un point noir qui tournait le coin d’un bouquet de pins, au-dessous du Breuil ; les enfants battirent des mains, abandonnèrent leurs jouets, et coururent de toute la vitesse de leurs petites jambes au-devant de leur oncle. Nous vîmes alors un petit homme gauche et disgracieux se baisser, prendre les enfants dans ses bras, les embrasser sur les deux joues et les mettre ensuite dans les paniers vides de son mulet ; puis nous l’entendîmes chantonner en venant à nous comme si ce monde était un lieu de délices. Cependant, à voir la figure du petit Luc Meynet, le bossu du Breuil, on sentait qu’il avait souvent souffert, et sa voix eut un accent de profonde tristesse quand il me dit qu’il avait dû prendre à sa charge les enfants de son

  1. Forbes se trouva dans une situation analogue quand il traversa le même passage, en 1842. Il décrit le même bruit comme une espèce de claquement et de sifflement. Voyez ses Travels in the Alps of Savoy, seconde édit., p. 323. M. R. Spence Watson fit la même expérience sur la partie supérieure du glacier d’Aletsch, au mois de juillet 1853 ; il parle de sons semblables à un sifflement ou à un chant. Voyez the Athenæum, 12 septembre 1863. Ces deux touristes paraissent avoir été fortement électrisés. Forbes dit que ses doigts « rendaient une espèce de sifflement ; » et Watson raconte que « ses cheveux se hérissaient d’une façon très gênante, mais fort drôle, » et que « le voile placé sur le chapeau d’un de ses compagnons se tenait tout droit en l’air ! »