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CHAPITRE XI.

fourchon sur une arête trop étroite pour qu’on puisse s’y tenir debout, ou de lutter contre un vent furieux (comme sur l’Aiguille de Trélatête), ou d’être à demi gelé en plein été (comme cela nous arriva sur l’Aiguille d’Argentière) ; mais en revanche il n’est pas amusant du tout de prendre des notes et des croquis dans de pareilles conditions.

Pendant toutes ces expéditions, dans les circonstances les plus contraires et les situations les plus difficiles, la tête et les doigts de Reilly ne cessaient de travailler. Jamais l’égalité de son humeur ne se démentit ; qu’il réussît ou qu’il échouât, il était toujours le même, toujours prêt à faire le sacrifice de ses goûts personnels aux désirs et aux convenances de ses compagnons. Grâce à un heureux mélange d’audace et de prudence alliées à une infatigable persévérance, il accomplit la tâche qu’il s’était imposée ; tâche vraiment insupportable, s’il ne l’eût entreprise avec une véritable passion, et qui, pour un seul homme, était un travail herculéen.

Nous prîmes congé l’un de l’autre sur le plateau du glacier d’Argentière. Reilly allait à Chamonix par les chalets de Lognan et de la Pendant, avec Payot et Charlet, tandis que je suivais avec Croz le versant droit du glacier pour gagner Argentière[1]. Nous fîmes notre entrée dans l’humble auberge de ce village, à 7 heures du soir, dix minutes plus tard, nous entendions l’écho des coups de canon tirés à Chamonix pour célébrer le retour de nos compagnons[2].

  1. Ce chemin est le pire que l’on puisse prendre.
  2. Le chalet inférieur de Lognan est à deux heures et demie de marche de Chamonix. Pour monter de là au sommet de l’Aiguille d’Argentière, puis pour redescendre au village du même nom, il nous fallut douze heures et demie.