Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
302
ESCALADES DANS LES ALPES

La bergschrund de la Dent Blanche fut franchie à 3650 mètres d’altitude, suivant mon calcul. À partir de ce point, les difficultés devinrent sérieuses. Le flanc de la montagne n’était ni très-abrupt, ni très-incliné, mais il était parsemé de petites arêtes transversales, d’escarpements, de couloirs à moitié formés. Nous eûmes autant de peine à le gravir que s’il eût été beaucoup plus raide. Si les obstacles n’étaient jamais bien formidables, ils étaient nombreux ; additionnés ils donnaient un fort joli total. La bergschrund fut franchie vers neuf heures du matin ; et nous ne prîmes que quarante-cinq minutes de repos pendant les onze heures suivantes. Dix heures quinze minutes furent donc employées à monter et à descendre le versant sud-ouest de la montagne, haut de 731 mètres ; comme on parcourt d’ordinaire 300 mètres par heure (moyenne de la montée et de la descente), la Dent Blanche est une montagne exceptionnellement difficile à escalader.

Les obstacles que nous offrait la nature n’étaient cependant rien, comparés à ceux que nous opposait l’état de l’atmosphère. La conversation suivante se renouvela trop souvent : « Êtes-vous bien solide, Almer ? » — « Oui. » — « Alors en avant, Biener. » Celui-ci se trouvant assez ferme à son tour, me criait : « Avancez, monsieur. » Et monsieur s’efforçait de l’imiter. — « Non, non, disait Almer, pas là, ici, » et il désignait de son bâton l’endroit où il fallait se cramponner. Venait alors le tour de Croz. « En avant ! » disait-on de nouveau, lorsque nous l’avions tous tiré avec la corde, et de recommencer.

Nous avions gravi cent cinquante mètres de cette agréable façon, quand nous fûmes salués, nous nous y attendions bien un peu, par quelques coups de vent, avant-coureurs d’un ouragan qui faisait rage au-dessus de nous. La journée était ravissante pour les habitants des vallées, mais, depuis longtemps, nous avions remarqué certains petits nuages, légers comme des fils de la Vierge, qui, voltigeant autour de notre cime, prenaient des aspects de plus en plus perfides. Avant la traversée de la crevasse, Croz, nous prophétisant déjà que le vent nous forcerait à reculer, nous avait conseillé la retraite. Mais je lui avais ré-