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ÂME BLANCHE

Son mari mort — et, non d’une de ces maladies sournoises qui, là-bas, tuent les hommes traitreusement, au débarqué, sans leur laisser le temps de donner la mesure de leur courage, mais, en héros, dans une affaire avec les indigènes — son mari mort, ma mère qui, sans doute, l’aimait toujours, se prit à regretter les déplorables commencements de leur union. Elle eut des remords, s’accusa de mille fautes imaginaires et souffrit d’un chagrin si intense qu’elle s’en rendit malade.

C’était une nature fine et passionnée, un tempérament nerveux qui devait se désorganiser aussitôt que les nerfs ne le soutiendraient plus. Cela arriva : insensiblement, comme une plante privée d’air, elle se mit à décliner ; elle maigrit, pâlit, s’étiola, eut des palpitations de cœur et des insomnies, des accès d’humeur noire dont rien ne pouvait la tirer. Du jour où on lui avait appris son veuvage, elle n’avait plus voulu sortir du tout, ni recevoir personne, ni ouvrir son piano, elle qui en jouait à miracle et pour qui la musique avait toujours été le meilleur plaisir, la plus douce consolation ! Moi-même, je lui fus à charge et elle me livra aux servantes, sans Souci de mon existence.

J’entendis cette phrase prononcée par des commères, un matin, au marché où mon ancienne nourrice devenue ma bonne, m’avait conduite : « Mme Veydt est folle ».