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ÂME BLANCHE

J’aurais voulu disparaître, m’enfoncer sous terre, m’évanouir en fumée : Netche hurlait, ses voisins de carreau se tordaient de rire et tout le marché accourait pour voir cette scène.

— Bonne-maman, il faut lui rendre son beurre ! suppliais-je.

C’est bien ce qu’elle essayait de faire ; mais la « klonche » était lourde, difficile à remuer et à mesure que Mme Veydt, de sa main valide, retirait ce beurre de son sac, l’autre le lui renvoyait, très grave, à présent, très digne, très méprisante, opiniâtre comme une mule, et répétant, les poings à la taille, l’œil au loin :

— Puisque je vous en fais cadeau !

Quand, enfin, ma grand’mère put réussir à poser toute la charge sur l’étal, Netche, d’un geste impérieux, la repoussa, la jetant devant elle et, renversée, la « klonche » alla s’aplatir à terre, tandis qu’on nous huait et que nous fuyions.

En retombant dans sa vasque, l’eau de la fontaine en obélisque faisait un bruit moqueur ; j’entendais des voix de gamins qui, à nous voir filer si vite, criaient :

— Ce sont des voleuses !

Et, au loin, la cloche des Riches-Claires sonnant l’Angélus de midi, jetait dans ce brouhaha son mince tintement de cristal.

Comme nous quittions le marché, une jeune mère, souriante, nous croisa, qui en revenait aussi, chargée de provisions, tenant par la main