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DE DORIAN GRAY

des opiums pour les remords, des narcotiques moraux pour l’esprit.

Oui, cela était un symbole visible, de la dégradation qu’amenait le péché !… C’était un signe avertisseur des désastres prochains que les hommes préparent à leurs âmes !

Trois heures sonnèrent, puis quatre. La demie tinta son double carillon… Dorian Gray ne bougeait pas.

Il essayait de réunir les fils vermeils de sa vie et de les tresser ensemble ; il tentait de trouver son chemin à travers le labyrinthe d’ardente passion dans lequel il errait. Il ne savait quoi faire, quoi penser ?… Enfin, il se dirigea vers la table et rédigea une lettre passionnée à la jeune fille qu’il avait aimée, implorant son pardon, et s’accusant de démence.

Il couvrit des pages de mots de chagrin furieux, suivis de plus furieux cris de douleur…

Il y a une sorte de volupté à se faire des reproches… Quand nous nous blâmons, nous pensons que personne autre n’a le droit de nous blâmer. C’est la confession, non le prêtre, qui nous donne l’absolution. Quand Dorian eût terminé sa lettre, il se sentit pardonné.

On frappa tout à coup à la porte et il entendit en dehors la voix de lord Henry :

— Mon cher ami, il faut que je vous parle. Laissez-moi entrer. Je ne puis supporter de vous voir ainsi barricadé…

Il ne répondit pas et resta sans faire aucun mouvement. On cogna à nouveau, puis très fort…

Ne valait-il pas mieux laisser entrer lord Henry et lui expliquer le nouveau genre de vie qu’il allait mener, se quereller avec lui si cela devenait nécessaire, le quitter, si cet inévitable parti s’imposait.