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LE PORTRAIT

rien, avec votre extraordinaire beauté, que vous ne soyez capable de faire.

— Mais songez, Harry, que je deviendrai grotesque, vieux, ridé !… Alors ?…

— Alors, reprit lord Henry en se levant, alors, mon cher Dorian, vous aurez à combattre pour vos victoires ; actuellement, elles vous sont apportées. Il faut que vous gardiez votre beauté. Nous vivons dans un siècle qui lit trop pour être sage et qui pense trop pour être beau. Vous ne pouvons nous passer de vous… Maintenant, ce que vous avez de mieux à faire, c’est d’aller vous habiller et de descendre au club. Nous sommes plutôt en retard comme vous le voyez.

— Je pense que je vous rejoindrai à l’Opéra, Harry. Je suis trop fatigué pour manger quoi que ce soit. Quel est le numéro de la loge de votre sœur ?

— Vingt-sept, je crois. C’est au premier rang ; vous verrez son nom sur la porte. Je suis désolé que vous ne veniez dîner.

— Ça ne m’est point possible, dit Dorian nonchalamment… Je vous suis bien obligé pour tout ce que vous m’avez dit ; vous êtes certainement mon meilleur ami ; personne ne m’a compris comme vous.

— Nous sommes seulement au commencement de notre amitié, Dorian, répondit lord Henry, en lui serrant la main. Adieu. Je vous verrai avant neuf heures et demie, j’espère. Souvenez-vous que la Patti chante…

Comme il fermait la porte derrière lui, Dorian Gray sonna, et au bout d’un instant, Victor apparut avec les lampes et tira les jalousies. Dorian s’impatientait, voulant déjà être parti, et il lui semblait que Victor n’en finissait pas…

Aussitôt qu’il fut sorti, il se précipita vers le paravent et découvrit la peinture.