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DE DORIAN GRAY

lument plus rien à faire, sinon à mourir d’ennui et il devint un misanthrope résolu. Maintenant, mon cher Basil, si vraiment vous voulez me consoler, apprenez-moi à oublier ce qui est arrivé ou à le considérer à un point de vue assez artistique. N’est-ce pas Gautier qui écrivait sur la « Consolation des arts » ? Je me rappelle avoir trouvé un jour dans votre atelier un petit volume relié en vélin, où je cueillis ce mot délicieux. Encore ne suis-je pas comme ce jeune homme dont vous me parliez lorsque nous fûmes ensemble à Marlow, ce jeune homme qui disait que le satin jaune pouvait nous consoler de toutes les misères de l’existence. J’aime les belles choses que l’on peut toucher et tenir : les vieux brocarts, les bronzes verts, les laques, les ivoires, exquisément travaillés, ornés, parés ; il y a beaucoup à tirer de ces choses. Mais le tempérament artistique qu’elles créent ou du moins révèlent est plus encore pour moi. Devenir le spectateur de sa propre vie, comme dit Harry, c’est échapper aux souffrances terrestres. Je sais bien que je vous étonne en vous parlant ainsi. Vous n’avez pas compris comment je me suis développé. J’étais un écolier lorsque vous me connûtes. Je suis un homme maintenant, j’ai de nouvelles passions, de nouvelles pensées, des idées nouvelles. Je suis différent, mais vous ne devez pas m’en aimer moins. Je suis changé, mais vous serez toujours mon ami. Certes, j’aime beaucoup Harry ; je sais bien que vous êtes meilleur que lui… Vous n’êtes pas plus fort, vous avez trop peur de la vie, mais vous êtes meilleur. Comme nous étions heureux ensemble ! Ne m’abandonnez pas, Basil, et ne me querellez pas, je suis ce que je suis. Il n’y a rien de plus à dire !

Le peintre semblait singulièrement ému. Le jeune