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LE PORTRAIT

la fasse mettre en ordre et nettoyer avant que vous y alliez. Elle n’est pas présentable pour vous, monsieur, pas du tout présentable.

— Je n’ai pas besoin qu’elle soit en ordre, Leaf. Il me faut la clef, simplement…

— Mais, monsieur, vous serez couvert de toiles d’araignées si vous y allez. Comment ! On ne l’a pas ouverte depuis cinq ans, depuis que Sa Seigneurie est morte.

Il tressaillit à cette mention de son grand-père. Il en avait gardé un souvenir détestable.

— Ça ne fait rien, dit-il, j’ai seulement besoin de voir cette pièce, et c’est tout. Donnez-moi la clef.

— Voici la clef, monsieur, dit la vieille dame cherchant dans son trousseau d’une main fiévreuse. Voici la clef. Je vais tout de suite l’avoir retirée du trousseau. Mais je ne pense pas que vous vous proposez d’habiter là-haut, monsieur, vous êtes ici si confortablement.

— Non, non, s’écria-t-il avec impatience… Merci, Leaf. C’est très bien.

Elle s’attarda un moment, très loquace sur quelques détails du ménage. Il soupira et lui dit de faire pour le mieux suivant son idée. Elle se retira en minaudant.

Lorsque la porte se fut refermée, Dorian mit la clef dans sa poche et regarda autour de lui. Ses regards s’arrêtèrent sur un grand couvre-lit de satin pourpre, chargé de lourdes broderies d’or, un splendide travail vénitien du dix-septième siècle que son grand-père avait trouvé dans un couvent, près de Bologne. Oui, cela pourrait servir à envelopper l’horrible objet. Peut-être cette étoffe avait-elle déjà servi de drap mortuaire. Il s’agissait maintenant d’en couvrir une chose qui