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DE DORIAN GRAY

satisfaire une curiosité intellectuelle ou quelque chose de ce genre… Ce que je vous demande, c’est ce que vous avez déjà fait souvent. En vérité, détruire un cadavre doit être beaucoup moins horrible que ce que vous êtes habitué à faire. Et, songez-y, ce cadavre est l’unique preuve qu’il y ait contre moi. S’il est découvert, je suis perdu ; et il sera sûrement découvert si vous ne m’aidez pas !…

— Je n’ai aucun désir de vous aider. Vous oubliez cela. Je suis simplement indifférent à toute l’affaire. Elle ne m’intéresse pas…

— Alan, je vous en conjure ! Songez quelle position est la mienne ! Juste au moment où vous arriviez, je défaillais de terreur. Vous connaîtrez peut-être un jour vous-même cette terreur… Non ! ne pensez pas à cela. Considérez la chose uniquement au point de vue scientifique. Vous ne vous informez point d’où viennent les cadavres qui servent à vos expériences ?… Ne vous informez point de celui-ci. Je vous en ai trop dit là-dessus. Mais je vous supplie de faire cela. Nous fûmes amis, Alan !

— Ne parlez pas de ces jours-là, Dorian, ils sont morts.

— Les morts s’attardent quelquefois… L’homme qui est là-haut ne s’en ira pas. Il est assis contre la table, la tête inclinée et les bras étendus. Alan ! Alan ! si vous ne venez pas à mon secours, je suis perdu !… Quoi ! mais ils me pendront, Alan ! Ne comprenez-vous pas ? Ils me pendront pour ce que j’ai fait !…

— Il est inutile de prolonger cette scène. Je refuse absolument de me mêler à tout cela. C’est de la folie de votre part de me le demander.

— Vous refusez ?

— Oui.