Page:Wolf - Les Hypothèses cosmogoniques, suivies de la Théorie du ciel de Kant, 1886.djvu/264

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pour vivre à la façon d’une plante, aspirer les sucs nourriciers, croître, se reproduire et finalement vieillir et mourir. De toutes les créatures, c’est l’homme qui atteint le moins bien le but de son existence, puisqu’il dépense ses excellentes facultés à faire ce que les autres créatures font plus sûrement et mieux avec des moyens beaucoup moins parfaits. Il serait donc la dernière d’entre elles, du moins aux yeux de la vraie sagesse, s’il n’était relevé par l’espérance d’une vie future, et si une période de complet développement n’était réservée aux forces qu’il renferme en lui-même.

Si l’on recherche les causes des obstacles qui retiennent la nature humaine dans un si profond abaissement, on les trouve dans la grossièreté de la matière dans laquelle sa partie spirituelle est submergée, dans la rigidité des fibres, l’inertie et l’immobilité des fluides qui doivent obéir aux excitations de l’âme. Les nerfs et les liquides de son cerveau ne lui apportent que des perceptions grossières et indistinctes ; et comme il ne peut opposer à l’excitation des sensations extérieures que des conceptions trop peu puissantes pour maintenir l’équilibre dans l’intérieur de sa faculté pensante, il se laisse entraîner par ses passions, étourdir et troubler par le tumulte des éléments dont est formée sa machine. Les efforts de la raison pour lutter contre les passions et pour en dissiper les ténébreuses erreurs par la lumière du jugement ne sont que des éclats fugitifs d’un soleil dont d’épais nuages interceptent et obscurcissent incessamment la clarté.

Cette grossièreté des éléments et des tissus qui entrent dans la constitution de l’homme est la cause de l’inertie qui retient les facultés de l’âme dans une faiblesse et une impuissance continuelles. L’acte de la réflexion et de la conception d’idées éclairées par la raison constitue un état fatigant, dans lequel l’âme ne peut se placer sans lutte, et dont elle tend à sortir pour rentrer bientôt, par un penchant naturel de la machine corporelle, dans l’état passif où les excitations des sens déterminent et régissent tous ses actes.

Cette inertie de sa faculté de penser, qui est une conséquence de sa dépendance d’une matière grossière et inflexible, est non seulement la source du vice, c’est aussi celle de l’erreur. Constamment gênée par la difficulté qu’elle éprouve à faire l’effort nécessaire pour dissiper le nuage des conceptions erronées, et pour abstraire des impressions sensibles la connaissance générale qui ressort de