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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/458

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multitude, et si ceux qui aspiraient au pouvoir entrevoyaient de nombreux alliés.

« Celui qui donne ouvertement de tels avis doit-il être, à bon droit, regardé comme un ami ou comme un traître ? Ce ne sont point, Critias, ceux qui empêchent les adversaires de s’accroître, ni ceux qui enseignent les moyens d’acquérir le plus grand nombre d’alliés, qui augmentent les forces de l’ennemi ; mais bien plutôt ceux qui ravissent injustement les richesses et mettent à mort les innocents. Voilà les gens qui rendent leurs adversaires plus nombreux, et qui, poussés par un vil intérêt, ne trahissent pas seulement leurs amis, mais se trahissent eux-mêmes.

« Si vous n’êtes pas convaincus que je dis vrai, réfléchissez encore à ceci. Que croyez-vous que Thrasybule, Anytus et les autres exilés, préférassent voir se passer ici, ce que je vous conseille ou ce que font ces gens-là ? Je crois qu’ils s’imaginent trouver partout des alliés ; mais si la partie la plus puissante de la ville était pour nous, ils jugeraient difficile de mettre le pied sur le moindre coin du pays.

« Quant à ce qu’il a dit à propos de mes changements, songez que le peuple avait voté lui-même le gouvernement des Quatre Cents[1], parce qu’on savait que les Lacédémoniens se fieraient plus à n’importe quel gouvernement qu’à la démocratie. Cependant, comme ceux-ci ne nous laissaient aucun relâche, et que les stratéges Aristote, Mélanthius, Aristarque et leur parti, construisaient ostensiblement sur la jetée un fort dans lequel ils voulaient introduire l’ennemi, pour placer la ville sous leur domination et sous celle de leur ami, quand je me suis aperçu de leur dessein et que je m’y suis opposé, était-ce l’acte d’un homme qui trahit ses amis ?

« Il m’appelle Cothurne, sous prétexte que j’essaye de m’ajuster aux deux partis. Mais celui qui ne s’attache à aucun, celui-là, au nom des dieux, comment faut-il l’appeler ? Or, sous la démocratie, on te regardait comme le plus grand ennemi du peuple, et maintenant, sous l’aristocratie, tu es devenu le plus terrible adversaire des honnêtes gens. Quant à moi, Critias, je fais une guerre continuelle à ceux qui croient que la démocratie n’est véritablement bonne que quand les esclaves et ceux qui, par pauvreté, vendraient l’État pour une drachme, prennent part au pouvoir ; et je combats sans relâche ceux qui croient qu’il ne peut y avoir d’oligarchie véritablement bonne que

  1. On ne sait rien de positif sur ces délégués de Sparte.