Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/108

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rochers qui semblent lui opposer une éternelle résistance. L’éminence, au centre d’une petite vallée sur laquelle est une vieille tour, forme un site sauvage et romantique ; le grondement des eaux s’harmonise avec les montagnes, dont les forêts sourcilleuses perdues dans la neige, donnent une grandeur imposante, une majesté sombre à cette scène, et semblent élever entre les deux royaumes une barrière infranchissable aux armées. Mais que peuvent les rochers, les montagnes et les neiges contre l’ambition humaine ? Les ours se retirent dans les tanières de leurs bois, les aigles nichent sur leurs rocs. Tout est grand ; la sublimité de la nature, avec une majesté imposante, remplit l’âme de terreur ; l’esprit est comme enchaîné à ces lieux, et l’imagination, malgré tout son pouvoir, ne cherche rien au delà : elle rend plus sourds les mugissements des cascades et revêt les bois d’une teinte plus sombre.

Il faut du temps pour visiter un semblable pays. Le climat est tel ou du moins a été tel depuis que je suis à Bagnères-de-Luchon, que l’on ne peut guère compter plus d’un beau jour sur trois. Les nuages, arrêtés et déchirés par les montagnes, déversent incessamment leur contenu. Du 26 juin au 2 juillet, nous eûmes une pluie abondante qui dura soixante heures sans interruption. Les montagnes, quoique proches, étaient cachées jusqu’à la base par les nuages. Elles n’arrêtent pas seulement ceux qui flottent dans l’atmosphère, mais semblent pouvoir en produire : vous voyez de légères vapeurs s’élever des gorges, s’amasser le long des pentes, s’accroître par degrés, jusqu’à ce qu’elles forment des nuées assez lourdes pour reposer sur les hauts sommets, ou autrement jusqu’à ce qu’elles soient emportées avec les autres dans l’atmosphère.

Parmi les maîtres de cette immense chaîne, les