Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/121

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À propos de cette nombreuse table d’hôte, je dois noter un fait dont j’ai été souvent frappé : l’humeur taciturne des Français. J’arrivai dans ce royaume, m’attendant à avoir constamment les oreilles rompues par la vivacité et la volubilité infinie de ces gens, que tant de personnes ont décrits, au coin de leur feu en Angleterre, sans doute. À Montpellier, quoiqu’il y eût quinze personnes à table parmi lesquelles plusieurs dames, il me fut impossible de leur faire rompre ce silence inflexible par plus d’un monosyllabe, et la société ressemblait plutôt à une assemblée de quakers muets qu’à la réunion des deux sexes chez un peuple fameux par sa loquacité. Ici il en était de même à chaque repas, aucun Français n’ouvrait la bouche. Aujourd’hui, à dîner, désespérant des gens de cette nation, et dans la peur de perdre l’usage d’un organe dont ils semblaient si peu disposés à se servir, je m’assis à côté d’un Espagnol, et comme j’arrivais récemment de son pays, je le trouvai en humeur de parler et assez communicatif. Nous eûmes, à nous seuls, plus de conversation que les trente autres personnes.

Le 28. — Parti de bon matin pour le pont du Gard, en traversant une grande plaine couverte, vers la gauche, de vastes plants d’oliviers au milieu de beaucoup de rochers arides. À première vue, je fus désappointé, je me figurais quelque chose d’autrement grandiose, mais je découvris bientôt mon erreur, et restai convaincu, après l’avoir examiné de plus près, qu’il ne lui manque aucune des qualités qui commandement l’admiration. C’est un travail prodigieux ; la grandeur et la solidité massive de l’architecture, qui peut encore défier deux ou trois mille ans, unies à l’incontestable utilité de l’entreprise, nous donnent une haute idée