Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/19

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Young est différent de tous : il s’anime, il s’exalte, il passe des plus profonds désespoirs aux conceptions les plus enchanteresses ; chez lui tout est hasardeux, primesautier, décousu au suprême degré, sa vie, aussi bien que ses œuvres. Sa vie ; il l’a racontée et à sa manière un j our que se sentant déjà sur le retour, on the wrong side of fifty comme disent les Anglais, relevant de maladie, forcé de garder la chambre au cœur de l’hiver, il se laissait aller aux pensées les plus mélancoliques. Rien ne rappelle mieux les mémoires de Tristram Shandy, où il est question de tout sauf de l’auteur lui-même ; ce sont les mêmes crochets bizarres, un peu corrigés par un final périodique : « Mais pour en revenir ou nous étions, » qui amènent véritablement de précieux passages sur une expérience personnelle exposée sans fausse honte. Aussi, quoi qu’on en ait, finit-on par aimer cet homme de premier mouvement et par prendre intérêt à ses intuitions rarement développées avec bonheur faute d’un peu plus de rectitude dans l’esprit.

Bien que sa famille eût occupé pendant environ deux siècles le petit domaine de Bradfield Hall, Bradfield Combust près Bury Saint-Edmunds, comté de Suffolk, et se contentât jusque-là des revenus qu’elle en tirait, son père avait dû chercher d’autres ressources : il s’était mis dans les ordres, donnant ainsi un exemple qui fut suivi par les fils aînés de la famille pendant deux générations. Un auteur anglais, Donaldson, dit qu’Arthur Young naquit à Londres, les autres biographes s’accordent pour placer à Bradfield le lieu de sa naissance, que tous fixent au 7 septembre 1741. Il eut pour parrain lord Onslow auquel il fut redevable d’une bonne éducation reçue à l’école de Lavenham ou Laneham, petit endroit à 6 milles de Bradfield. Ce patronage ne s’étendant pas plus loin, le jeune homme, s’il avait conçu quelques espérances ambitieuses, dut en rabattre, et, pour essayer du commerce, entra à 17 ans