Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/203

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dans ses guerres avec notre pays, dont la côte plus favorisée offre non-seulement, l’embouchure de la Tamise, mais aussi la magnifique rade de Portsmouth. Afin d’y remédier, on a conçu le projet d’une digue jetée en travers de la rade ouverte de Cherbourg. Mais la formation d’une enceinte capable d’abriter une flotte de guerre eût demandé une muraille si étendue, si exposée à de fortes marées, que la dépense eût été beaucoup trop grande pour que l’on y pensât, la réussite trop douteuse pour oser l’entreprendre. On renonça donc à une jetée régulière, et on en adopta une partielle. Pour la former, on éleva dans la mer, sur toute la ligne que l’on voulait couvrir, des colonnes isolées en charpente et en maçonnerie, assez fortes pour résister à la violence de l’Océan ; elles en brisent les vagues et permettent d’établir une digue de l’une à l’autre. Ces colonnes ont reçu de leur forme le nom de cônes ; elles ont 140 pieds de diamètre à la base, 60 pieds au sommet, et 60 pieds de hauteur verticale ; enfoncées de 30 à 34 pieds, elles sont couvertes au reflux des plus hautes marées. Construits en chêne avec toutes les garanties de force et de solidité, ces énormes tonneaux à large base étaient, une fois terminés, chargés d’autant de pierres qu’il en fallait pour les couler ; chacun pesait alors 1,000 tonnes (de 2,000 livres). Afin de les faire flotter jusqu’à destination, on attachait tout autour avec des cordes 60 pièces vides de 10 pipes chaque, de nombreux vaisseaux les remorquaient en présence d’innombrables spectateurs. Au signal convenu, toutes les cordes sont coupées à la fois et l’énorme pilier s’engloutit ; il est alors rempli de pierres par des bateaux que l’on tient prêts chargés, et on le recouvre de maçonnerie. La capacité de chacun, jusqu’à 4 pieds de la surface seulement, est de 2,500 toises cubiques de pierre.