Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/224

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la Livonière, secrétaire perpétuel de la Société d’agriculture d’Angers ; je le trouvai à sa maison de campagne, à deux lieues d’ici ; lorsque j’arrivai, il était à table avec sa famille ; comme il n’était pas midi, je pensais avoir évité cette maladresse ; mais lui-même et madame prévinrent mon embarras par leurs instances cordiales de les imiter, et, sans faire le moindre dérangement d’aucune sorte, me mirent tout d’un coup à mon aise, devant un dîner médiocre, mais assaisonné de tant de laisser-aller et d’entrain, que je le trouvai plus à mon goût que les tables le plus splendidement servies. Une famille anglaise à la campagne, de même rang, et prise de même à l’improviste, vous recevrait avec une politesse anxieuse et une hospitalité inquiète : après vous avoir fait attendre que l’on change en toute hâte la nappe, la table, les assiettes, le buffet, le bouilli et le rôti, on vous donnerait un si bon dîner, que, soit crainte, soit lassitude, personne de la famille ne trouverait un mot de conversation, et vous partiriez chargé de vœux faits de bon cœur de ne vous revoir jamais. Cette sottise, si commune en Angleterre, ne se voit pas en France : les gens y sont tranquilles chez eux et font tout de bonne grâce.

M. de la Livonière s’entretint longuement de mon voyage, qu’il loua beaucoup ; mais il lui sembla extraordinaire que ni le gouvernement, ni l’Académie des sciences, ni celle d’agriculture ne m’en payent au moins les frais. Cette idée est tout à fait française : ils ne comprennent pas qu’un particulier quitte ses affaires ordinaires pour le bien public sans que le public le paye, et il ne m’entendait pas non plus quand je lui disais qu’en Angleterre, tout est bien, hors ce que fait le gouvernement. Je fus très contrarié qu’il ne pût m’indiquer la demeure de feu le marquis de Tourbilly ;