Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/281

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met toute l’autorité dans leurs mains. J’ai fait appel en vain, pour les persuader, au témoignage des chefs de l’Assemblée qui, dans leurs pamphlets font bon marché de la constitution anglaise, parce que le pouvoir de la couronne et des lords y restreint de beaucoup celui des communes. Le résultat me paraît si évident qu’il n’y a aucune difficulté à le prédire : tout pouvoir réel passera désormais aux communes. Après avoir excité les espérances du peuple dans l’exercice qu’elles en feraient, elles seront incapables de s’en servir avec modération ; la cour ne se résignera pas à se voir lier les mains ; la noblesse, le clergé, les parlements et l’armée, menacés d’anéantissement, se réuniront pour la défense commune ; mais comme un tel accord demande du temps pour s’établir, ils trouveront le peuple armé, d’où une guerre civile sanglante devra suivre. Cette opinion, je l’ai manifestée plus d’une fois sans trouver quelqu’un qui s’y ralliât.[1] À tout hasard, le vent est tellement en faveur du peuple, et la conduite de la cour est si faible, si indécise, si aveugle, qu’il arrivera peu de chose que l’on ne puisse dater de ce moment. De la vigueur et du savoir-faire eussent tourné les chances du côté de la cour, car la grande majorité de la noblesse du royaume, le haut clergé, les parlements et l’armée soutenaient la couronne ; son abandon de la seule marche qui assurât son pouvoir laisse place à toutes les exigences. Le soir, les feux d’artifice, les illuminations, la foule et le bruit ont été croissants au

  1. Je me permettrai de remarquer ici, longtemps après avoir écrit cette prédiction, que quoiqu’elle ne se soit pas accomplie, j’étais dans le vrai en la faisant, et que la suite ordinaire des choses eût amené la guerre civile, à laquelle tout tendait depuis la séance royale. De même je persiste plus que jamais à croire qu’il fallait accepter les propositions offertes. Il n’y avait pas plus à s’occuper de ce qui est advenu ensuite que de mes chances pour devenir roi de France. (Note de l’auteur.)