Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/311

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là le peuple des famines. Je suis fixé quant à Carlsruhe ; le margrave étant à Saw (Spa), je n’ai plus à m’en préoccuper. — Le soir. — J’ai assisté à une scène curieuse pour un étranger, mais terrible pour les Français qui y réfléchiront. En traversant la place de l’Hôtel-de-Ville, j’ai trouvé la foule qui en criblait les fenêtres de pierres, malgré la présence d’un piquet de cavalerie. La voyant à chaque minute plus nombreuse et plus hardie, je crus intéressant de rester pour voir où cela en viendrait, et grimpai sur le toit d’échoppes situées en face de l’édifice, objet de sa rage. C’était une place très commode. Voyant que la troupe ne répondait qu’en paroles, les perturbateurs prirent de l’audace et essayèrent de faire voler la porte en éclats avec des pinces en fer, tandis que d’autres appliquaient des échelles d’escalade. Après un quart d’heure, qui permit aux magistrats de s’enfuir par les portes de derrière, la populace enfonça tout et se précipita à l’intérieur comme un torrent, aux acclamations des spectateurs.

Dès ce moment, ce fut une pluie de fenêtres, de volets, de chaises, de tables, de sofas, de livres, de papiers, etc., etc., par toutes les ouvertures du palais, qui a de soixante-dix à quatre-vingts pieds de façade ; il s’ensuivit une autre de tuiles, de planches, de balcons, de pièces de charpente, enfin de tout ce qui peut s’enlever de force dans un bâtiment. Les troupes, tant à pied qu’à cheval, restèrent impassibles. D’abord, elles n’étaient pas assez nombreuses pour intervenir avec succès ; plus tard, quand elles furent renforcées, le mal était trop grand pour qu’on pût faire autre chose que garder les approches sans permettre à personne de s’avancer, mais en laissant se retirer ceux qui le voulaient