Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/35

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passe dans ces pauvres borderies au matériel grossier, aux masures en délabre, où les générations se sont suivies sans autre espoir que de vivre au jour la journée. Le contraste devient encore plus pénible quand on pense aux sacrifices accomplis par ceux de ces cultivateurs qui, devenus propriétaires, ont acheté à grand’peine le droit de mener cette pénible existence.

Notre auteur disait bien, et d’autres l’ont, depuis, bien des fois répété : « Mieux vaut abandonner la terre et réserver toutes ses forces au salaire, toutes ses ressources à la location. » C’était parler d’or quand un grand poète pouvait chanter le samedi soir à la chaumière (The cottier’s saturday night) ; mais peu à peu on a trouvé que le valet de ferme tenait de la place avec sa maison, son jardin et son bout de pré ; qu’il était inutile de s’engager à long terme avec des domestiques quand on avait sous la main des machines et des tâcherons : le collier a fait place aux agricultural bands. À l’heure même où nous saluiions l’entrée de la moissonneuse dans les champs, comme devant mettre fin à ces migrations sources de débauches, de maladies, de misère ; le fléau, de passager devenait permanent. Ce n’étaient plus des hommes dans la force de l’âge qui, descendant des régions plus tardives, revenaient sur leurs pas en dépouillant la terre pour la livrer nue à la charrue : non, en toute saison, au point du jour on voyait sortir des bourgades des troupes de femmes et d’enfants, par 12, par 15, par 30, par 100, lorsque l’ouvrage pressait ; les plus âgés tenaient la tête tandis que derrière couraient des bambins de six ans, de cinq ans même, car eux aussi devaient être rendus à des deux et trois lieues de distance au chantier où le travail les retenait de huit heures à cinq heures et demie. Le soir ce pauvre monde regagnait péniblement la maison, portant ceux qui ne pouvaient plus marcher ; l’aîné rendait à ses parents, épuisé, menacé dans la vie, le