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Page:Yver - Cher coeur humain.djvu/192

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petit enfant ne cède jamais non plus un pouce de sa vie intérieure ? Je crois qu’il faut trente ans à une femme pour qu’elle sache s’exprimer elle-même ; et alors, elle ne le sait que trop. Mais une femme-enfant, c’est difficile, mon vieux, c’est extraordinaire. Maintenant encore, avec ses vingt-quatre ans et cruelle comme elle l’est avec moi, elle a le don des inaccessibles, des impénétrables : elle est vertigineuse.

Ce que je raconte là, je ne l’ai dit à personne, même pas à Laffrey qui est devenu notre voisin à Saint-Cloud et qui croit à notre bonheur apparent. Tu comprends, Laffrey, je l’ai retrouvé il y a trois ans, comme toi, par hasard. C’était lors d’un festival Debussy à la salle Beethoven. Je marche sur le pied d’un grand monsieur, c’était Laffrey : mais un Laffrey fantôme, comme retombé au fond de lui-même et que je voyais l’instant d’après écouter le quatuor à cordes, la tête décollée de ses épaules géantes, en angle droit, le menton dans le gilet, penché comme sur un tombeau. J’ai eu l’impression que je frôlais un homme en état de choc, une douleur insigne. Le lendemain, il était à mon bureau, sans rien me dire encore de son secret, mais comme s’il avait peur de perdre l’occasion d’un sauveteur possible. Oh ! son secret n’en est pas