Page:Yver - Cher coeur humain.djvu/97

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elle venait s’asseoir aux tables d’hôte fleuries artificiellement, parmi des confrères bavards, ignorant, lorsqu’ils lui passaient cordialement le sel ou la carafe, qu’elle était l’héroïne d’une sorte de tragédie grecque ; et elle pensait à sa solitude. Elle enviait une naissance commune qui permet aux filles d’aimer qui leur plaît. Sa foi connaissait aussi des doutes.

Il lui arrivait de se poser des questions abominables :

« Et si Charles Martel n’avait jamais existé !… Et si entre le neuvième et le douzième siècle période obscure, il y avait eu solution de continuité dans ma lignée ? Avec les Croisades, on ne sait jamais ! Et les usurpations possibles ? »

Une fois dans sa chambre d’auberge, devant l’édredon d’andrinople rouge sous lequel avaient dormi des rouliers et des maquignons, elle songeait à ses aïeules qui voyageaient en deux carrosses, le second portant la literie et les tapis personnels avec la garde-robe. Sa hauteur croulait. Assise dans un fauteuil Voltaire crevé par les valises des hôtes de passage, le front entre les mains, elle se rappelait combien Jacques était un bon garçon.

Parfois la neige tombait silencieusement sur le village beauceron, et elle se demandait si elle pourrait rouler le lendemain.