Page:Zola - Fécondité.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV


Lorsque, à sept heures et demie, Mathieu arriva, place de la Madeleine, au restaurant où le rendez-vous était donné, il y trouva, installés déjà, Beauchêne et son client, M. Firon-Badinier, en train de boire un verre de madère. Et le dîner fut remarquable, des plats choisis, les meileurs vins, en une fastueuse abondance. Mais ce qui émerveilla le jeune homme, plus encore que le solide appétit des deux convives, mangeant et buvant en héros, ce fut la savante bonhomie du patron, l’active, la gaie intelligence qu’il déploya, le verre en main, sans perdre un coup de dents, à ce point que, dès le rôti, le client avait non seulement commandé la batteuse nouvelle, mais qu’il était aussi tombé d’accord sur le prix d’une faucheuse. Il devait reprendre, à neuf heures vingt, le train pour Évreux ; et, quand neuf heures eurent sonné, l’autre, très désireux maintenant de se débarrasser de lui, réussit à l’emballer dans une voiture, pour franchir les quelques pas qui le séparaient de la gare Saint-Lazare.

Puis, Beauchêne, resté seul sur le trottoir, avec Mathieu, ôta son chapeau, baigna un moment sa tête brûlante dans l’air de la délicieuse soirée de mai.

— Ouf ! ça y est ! dit-il en riant. Et ça n’a pas été sans peine. Il a fallu le pomard pour le décider, cet animal-là… Avec ça, j’avais une peur bleue qu’il ne voulût plus partir et qu’il ne me fît manquer mon rendez-vous.

Ces mots qui lui échappaient, dans sa demi-ivresse,