Page:Zola - La Confession de Claude (Charpentier 1893).djvu/154

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Il y a un mois, j’étais libre, je gardais Laurence comme on conserve un objet que l’on ne peut jeter à la rue. Maintenant, elle m’a lié à elle, je veille sur elle, je la regarde dormir, je ne veux pas qu’elle me quitte.

Ceci était fatal, & je crois comprendre comment l’amour est entré en moi. Dans la souffrance & l’abandon, on ne vit pas impunément aux côtés d’une femme qui souffre comme vous, qui est abandonnée comme vous. Les larmes ont leur sympathie, la faim est fraternelle ; ceux qui meurent ensemble, le ventre vide, se serrent étroitement la main.

Je suis resté cinq semaines dans la chambre froide & triste, en face de Laurence. Je ne voyais qu’elle au monde, elle était pour moi l’univers, la vie, l’affection. Du matin au soir, j’avais devant les yeux ce visage où je croyais surprendre par instants un rapide sentiment d’amitié. Et moi, j’étais nu & faible ; je vivais dans