Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/132

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avoir donné du papier et un crayon. Heureusement, Guillaume avait le libre usage de sa main droite. Il put, en quelques lignes, annoncer qu’il ne rentrerait pas à madame Leroi, sa belle-mère, qui était restée chez lui, après la mort de sa femme, et qui avait élevé ses trois grands fils. En outre, Pierre savait qu’il y avait, dans la maison, une jeune fille de vingt-cinq à vingt-six ans, la fille d’un ancien ami de Guillaume, recueillie par celui-ci à la mort du père, et qu’il devait épouser prochainement, malgré la grande différence d’âge. Mais c’étaient là, pour le prêtre, des choses vagues et troublantes, tout un côté de désordre condamnable, qu’il avait toujours feint d’ignorer.

— Alors, tu veux qu’on porte tout de suite cette lettre à Montmartre ?

— Oui, tout de suite. Il n’est guère plus de sept heures, elle sera là-bas vers huit heures… Et un homme sûr, n’est-ce pas ?

— Le mieux est que Sophie prenne un fiacre. Avec elle, on peut être sans crainte, elle ne bavardera pas… Attends, je vais arranger cela.

Sophie, appelée, comprit, promit de dire là-bas, si on la questionnait, que monsieur Guillaume était venu passer la nuit chez son frère, pour des raisons qu’elle ignorait. Et, sans faire aucune réflexion elle-même, elle s’en alla, après avoir dit simplement :

— Le dîner de monsieur l’abbé est servi, il n’aura qu’à prendre le bouillon et le ragoût sur le fourneau.

Mais, cette fois, quand Pierre revint s’asseoir près du lit, Guillaume y était retombé sur le dos, la tête soutenue par deux oreillers, très las, très pâle, envahi par la fièvre. La lampe brûlait doucement au coin d’un meuble, la paix était si profonde, qu’on entendait battre la grosse horloge, dans la salle à manger voisine. Un instant, ce grand silence régna autour des deux frères, enfin réunis