Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/153

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nécessité des liens sociaux. Il ne fut pas question de mariage. Un jour, Guillaume, qui avait vingt-trois ans, se trouva avoir pour femme Marguerite, qui en avait vingt, tous les deux beaux, sains et vigoureux, s’adorant et travaillant, débordant d’espoir en l’avenir.

Dès ce jour, une vie nouvelle commença. Guillaume, qui avait rompu tous rapports avec sa mère, touchait, depuis la mort de son père, une petite rente de deux cents francs par mois. C’était le pain strictement assuré ; et il doublait déjà cette somme par ses travaux de chimiste, analyses, recherches, applications industrielles. Le jeune ménage alla s’installer sur la butte Montmartre, tout au sommet, dans une petite maison de huit cents francs de loyer, dont la grande commodité était un étroit jardin, où l’on pourrait plus tard installer un atelier de planches. Tranquillement madame Leroi s’était mise avec sa fille et son gendre, les aidant, leur évitant une seconde servante, attendant, disait-elle, ses petits-enfants, pour les élever. Et ils étaient venus, de deux années en deux années : trois fils, trois petits hommes solides, Thomas, le premier, puis François, puis Antoine. Et, comme elle s’était donnée tout entière à son mari et à sa fille, comme elle se donnait à son gendre, elle se donna aux trois enfants nés de l’union heureuse, elle devint Mère-Grand, ainsi qu’on la nommait, Mère-Grand pour toute la maison, pour les vieux comme pour les jeunes. Elle était la raison, la sagesse, le courage, celle qui veillait sans cesse, qui menait tout, que l’on consultait sur tout, dont on suivait toujours les avis, régnant là souverainement, en reine mère toute-puissante.

Pendant quinze années, cette vie dura, vie de travail acharné, de paisible tendresse, dans la modeste petite maison, où la plus stricte économie réglait les dépenses, contentait les besoins. Puis Guillaume perdit sa mère, hérita, put enfin réaliser son ancien désir, acheter la