Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/179

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vilaines paroles, que c’était ma faute. Comme si ça ne dépendait que de moi !… Ah ! je suis la première attrapée, j’ai déjà assez de chagrin !

Ses sanglots recommencèrent. Elle continuait, elle bégayait, disait leur stupeur, car depuis longtemps ils ne se touchaient plus que pour le plaisir, résolus à tout plutôt que d’avoir un troisième enfant. Heureusement encore qu’il la savait incapable de le tromper, tant elle était molle et douce, désireuse avant tout de sa tranquillité.

— Mon Dieu ! finit par dire madame Théodore, vous l’élèverez comme les deux autres, cet enfant, s’il vient.

Du coup, la colère sécha les larmes d’Hortense. Elle se leva, elle cria : — Tiens ! tu es bonne, toi ! On voit bien que tu n’es pas dans notre bourse. Avec quoi veux-tu que nous l’élevions, lorsque déjà nous avons tant de peine à joindre les deux bouts ?

Et, oubliant la gloriole bourgeoise qui, d’habitude, la faisait se taire ou même mentir, elle exposa leur gêne, l’affreuse plaie d’argent qui les rongeait d’un bout de l’année à l’autre. Le loyer était déjà de sept cents francs. Sur les trois mille francs que le mari gagnait à son bureau, restaient donc à peine deux cents francs par mois. Et comment faire, là-dessus, lorsqu’il s’agissait de manger tous les quatre, de s’habiller, de tenir son rang ? C’était l’habit indispensable pour monsieur, la robe neuve que madame devait avoir sous peine d’être déclassée, les souliers que les fillettes usaient en un mois, toutes sortes de frais à côté qu’il était absolument impossible de réduire. On rognait un plat, on se privait de vin, mais il y avait des soirs où il fallait quand même prendre une voiture. Sans parler du gaspillage des enfants, de l’abandon où la femme découragée laissait tomber le ménage, du désespoir de l’homme convaincu qu’il ne s’en tirerait jamais,