Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/27

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il est certain que, s’il s’occupait moins de politique, il travaillerait davantage. On ne peut discuter avec les camarades, aller dans les réunions, et être à l’atelier. Il est fautif en cela, c’est évident… Ça n’empêche qu’il a raison de se plaindre, on ne s’imagine pas un pareil acharnement du malheur, tout s’est abattu sur lui, tout l’a écrasé. Un saint lui-même en deviendrait fou, et l’on comprend qu’un pauvre, qu’un malchanceux finisse par en être enragé… Depuis deux mois, il n’a rencontré qu’un bon cœur, un savant, installé là-haut, sur la butte, monsieur Guillaume Froment, qui lui a donné quelque travail, de quoi avoir parfois de la soupe.

Très surpris d’entendre le nom de son frère, Pierre voulut poser certaines questions ; puis, un sentiment singulier, un malaise de discrétion et de peur, le fit se taire. Il regarda Céline, qui avait écouté, debout devant lui, muette, de son air grave et chétif. Et madame Théodore, en le voyant sourire à l’enfant, eut une dernière réflexion.

— Tenez ! c’est surtout l’idée de cette petite qui le jette hors de lui. Il l’adore, il tuerait tout le monde, quand il la voit se coucher sans souper. Elle est si gentille, elle apprenait si bien, à l’école communale ! Maintenant, elle n’a plus même de chemise pour y aller.

Pierre, qui avait enfin écrit son adresse, glissa une pièce de cinq francs dans la main de la fillette ; et, désirant couper court aux remerciements, il se hâta de dire :

— Vous saurez où me trouver, si vous avez besoin de moi, pour Laveuve. Mais je vais m’occuper de son affaire dès cet après-midi, et j’espère bien que, ce soir, on viendra le chercher.

Madame Théodore n’écoutait pas, se confondait en bénédictions ; tandis que Céline, saisie de voir cent sous dans sa main, murmurait :