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MADELEINE FÉRAT

le monde pour se réfugier au fond de leur propre cœur, dans la certitude de leur noblesse, dès que le monde les mêle à ses hontes et à ses misères. Si Guillaume se perdait dans les sourires de Madeleine, s’il éprouvait une joie exquise à regarder son teint nacré, il lui venait parfois, à son insu, un pli de dédain aux lèvres, quand la jeune femme lui jetait un coup d’œil froid, presque moqueur.

Les jeunes gens avaient tourné le coude que fait le chemin des Champs-Girard, et se trouvaient dans une ruelle qui s’allonge entre deux murailles grises d’une monotonie désespérante. Ils pressèrent le pas pour sortir de ce corridor étroit. Puis ils continuèrent leur promenade à travers champs, par des sentiers à peine frayés. Ils passèrent au pied du coteau où se dressent les énormes châtaigniers de Robinson, et arrivèrent à Aulnay. Cette course rapide avait fouetté leur sang. Leur esprit s’était détendu aux tiédeurs du soleil, dans l’air libre qui leur soufflait à la face des bouffées âpres et chaudes. L’état tacite de guerre où ils étaient en descendant de wagon, avait peu à peu fait place à une familiarité de bons camarades. Ils oubliaient les raideurs de leur caractère ; la campagne les pénétrait d’un tel bien-être qu’ils ne songeaient plus à s’observer ni à se défendre l’un contre l’autre.

À Aulnay, ils s’arrêtèrent un instant à l’ombre des grands arbres qui entretiennent en ce lieu une éternelle fraîcheur. Ils avaient eu chaud au soleil, ils sentaient avec délices le froid des feuillages leur tomber sur les épaules.

Quand ils eurent repris haleine :

— Du diable si je sais où nous sommes ! s’écria Guillaume… Mange-t-on, au moins, dans ce pays ?

— Oui, ne craignez rien, reprit gaiement Madeleine, nous serons à table dans une demi-heure… Venez par ici.

Elle l’entraîna vivement vers l’allée bordée de palissades qui conduit sur le plateau. Là, elle quitta son bras, se mit à courir comme un jeune chien pris de folie joyeuse. Toute sa puérilité se réveillait en elle, elle redevenait pe-