Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/232

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retrouva le ricanement qui d’habitude découvrait ses dents jaunes.

— Bah ! dit-elle, j’ai eu mon temps, ma petite… Te rappelles-tu comme les hommes couraient après moi ? Nous avons fait de bonnes parties ensemble à Verrières. Je t’aimais beaucoup, parce que tu ne me disais jamais de sottises. Je me souviens pourtant d’un jour où je te boudai à la campagne : mon amant t’avait embrassée, et je faisais semblant d’être jalouse. Tu sais, je m’en moquais pas mal.

Madeleine pâlit affreusement. Les souvenirs évoqués par cette créature l’étouffaient.

— À propos, demanda l’autre tout à coup, et le tien d’amant, ce grand garçon, Pierre, Jacques, je ne sais plus, qu’en as-tu fait ? Voilà un homme qui était gai ! Il faut que je te dise une chose : il me faisait la cour, il me trouvait drôle. Maintenant ça ne peut plus te fâcher de savoir cela… Est-ce que tu le revois quelquefois ?

La jeune femme, à bout de forces, ne put supporter davantage l’angoisse que lui causait la présence de Vert-de-Gris. La colère lui remontait à la gorge, tout son être s’exaspérait.

— Je vous ai dit que j’étais mariée, répondit-elle. Allez-vous-en, allez-vous-en.

La folle eut peur. Elle se leva comme si elle eût entendu les clameurs des gamins qui la poursuivaient à coups de pierres dans les champs.

— Pourquoi me dis-tu de m’en aller ? balbutia-t-elle. Je ne t’ai jamais fait de mal ; j’ai été ton amie ; nous ne nous sommes pas quittées fâchées.

— Allez-vous-en, répétait toujours Madeleine. Je ne suis plus celle que vous avez connue. J’ai une petite fille.

— Moi aussi, j’avais une petite fille… Je ne sais plus… J’ai oublié de payer les mois de nourrice, et on me l’a prise… Tu n’es pas gentille, tu me reçois comme un chien. Je disais bien autrefois que tu étais une pimbêche, avec tes airs sucrés.

Et comme Madeleine en marchant vers elle la poussait