Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/292

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de chair et d’esprit. Le même phénomène qui avait empli Madeleine de Jacques, emplissait Guillaume de Madeleine. Il se façonnait à elle, prenait de sa voix et de ses gestes. Parfois il se disait avec effroi qu’il portait dans ses membres sa femme et son amant, il croyait les sentir s’agiter, s’étreindre au fond de lui. Il était esclave, il appartenait à cette créature qui elle-même appartenait à un autre. C’était ce double état de possession dont les tortures les enfonçaient tous deux dans une angoisse sans espoir.

Guillaume restait forcément passif. Il suivait Madeleine dans ses effarements, il ressentait le contre-coup de chaque secousse qui la brisait. Plus calme aux heures où elle se calmait, il roulait de nouveau à la douleur et à l’épouvante, dès que ses frissons la reprenaient. Elle eût fait sa sérénité, comme elle faisait son affolement. Jeté à elle, perdu en elle, sans autre courage que le sien, sans autre volonté que la sienne, il était emporté dans chacune de ses sensations, dans chacun des battements de son cœur. Parfois, Madeleine le regardait d’un air étrange.

— Ah ! pensait-elle, s’il était d’une nature plus vigoureuse, nous guéririons peut-être. Je voudrais qu’il me dominât, qu’il s’emportât contre moi jusqu’à me rouer de coups. Je sens que cela me ferait du bien d’être battue. Quand je serais sans force sur le carreau, quand il m’aurait prouvé sa puissance, il me semble que je souffrirais moins. Il faudrait qu’il tuât Jacques en moi, de son poing fermé. Et il parviendrait à le tuer, s’il était fort.

Guillaume lisait ces pensées dans les yeux de Madeleine. Il comprenait comme elle qu’il aurait sans doute pu la sauver de ses souvenirs, s’il avait eu la vigueur de la traiter en maître, de la serrer dans ses bras jusqu’à ce qu’elle oubliât Jacques. Au lieu de frissonner de ses frissons, il aurait dû rester calme, vivre au-dessus des troubles de la jeune femme, et lui imposer la sérénité de son esprit. Quand ces raisonnements lui venaient, il s’accusait de tout le mal, il s’abandonnait davantage, se traitant de lâche et ne pouvant réagir contre ses lâchetés. Alors, pen-