Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/299

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que le concierge de la rue de Boulogne leur expédierait ce paquet, elle resta immobile, indécise. Alors il offrit de retourner lui-même au pavillon. Mais elle n’accepta pas davantage cet arrangement. Comme la cloche du train sonnait, elle finit par pousser son mari dans la salle d’attente en lui disant qu’elle serait plus tranquille si elle le savait auprès de sa fille, et en lui promettant de le suivre à quelques heures de distance. Quand elle fut seule, elle sortit rapidement de la gare. Au lieu de prendre la rue d’Amsterdam, elle descendit vers les boulevards, à pied.

Il faisait une claire matinée d’avril. Des senteurs de printemps naissant traînaient. L’air, malgré les bouffées chaudes, les frissons tièdes qui le traversaient, gardait un fond de vivacité. Un côté des rues restait encore dans une ombre bleuâtre ; l’autre côté, éclairé d’une longue nappe de soleil jaune, flambait d’une teinte d’or et de pourpre. Madeleine marchait au milieu du soleil, sur le trottoir inondé de rayons. Dès qu’elle s’était trouvée hors de la gare, elle avait ralenti le pas. Elle avançait ainsi, lentement, songeuse. Depuis la veille, son projet était arrêté. Toute son énergie lui était revenue, devant la menace d’une visite de Jacques. Tandis qu’elle demandait l’adresse de ce dernier à Tiburce, elle pensait : « Demain, je laisserai partir Guillaume. Lorsque je serai seule, j’irai voir Jacques, je lui dirai tout, je le supplierai de nous épargner. S’il me jure de ne plus chercher à nous voir, il me semble que je le croirai mort de nouveau. Jamais mon mari ne connaîtra cette démarche ; il est trop frissonnant pour en accepter la nécessité ; plus tard, il s’imaginera que le hasard nous a protégés, il se calmera comme moi. D’ailleurs je puis inventer avec Jacques un échange de lettres, un prétexte de brouille quelconque. » Pendant toute la nuit, ce plan avait roulé dans sa tête ; elle en modifiait les détails, apprêtait les paroles qu’elle dirait à son ancien amant, adoucissait les termes de sa confession. Elle était lasse de terreur, lasse de souffrance, elle voulait en finir.