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MADELEINE FÉRAT

Madeleine défaillait. Elle s’assit sur une chaise, sans songer à ôter son chapeau. Elle était très-pâle et ne trouvait pas une parole à dire. Ses yeux secs et brûlants allaient des malles au tas de ses vêtements ; c’était surtout ce triage brutal qui lui présentait la séparation d’une façon nette et odieuse. Leur linge ne se trouvait plus mêlé dans le même tiroir, elle n’était plus rien pour son amant.

Celui-ci achevait de boucler sa dernière malle.

— On m’envoie au diable, reprit-il en essayant de rire… Je vais en Cochinchine.

Madeleine put enfin parler.

— C’est bien, dit-elle d’une voix sourde. Je t’accompagnerai à la gare.

Elle ne se trouvait pas le droit de faire un seul reproche à cet homme. Il l’avait prévenue, et c’était elle qui avait voulu rester. Mais ses entrailles se révoltaient, elle éprouvait une envie folle de se pendre à son cou, de le supplier de ne point partir. Son orgueil la cloua sur sa chaise. Elle voulut paraître calme, ne pas montrer au jeune homme, qui sifflait avec tranquillité, à quel point son départ lui arrachait le cœur.

Vers le soir, des camarades arrivèrent. On alla à la gare en bande. Madeleine souriait, et son amant plaisantait gaiement, soulagé par ce sourire. Il n’avait jamais eu pour elle qu’une bonne amitié, il partait heureux de la voir si calme. Au moment d’entrer dans la salle d’attente, il fut cruel sans le vouloir.

— Ma fille, dit-il, je ne te dis pas de m’attendre… Console-toi et oublie-moi.

Il partit. Madeleine, qui avait gardé aux lèvres un sourire étrange et douloureux, sortit machinalement de la gare. Elle ne sentait plus le sol sous ses pieds. Elle ne s’aperçut même pas qu’un des camarades du jeune chirurgien lui prenait le bras et l’accompagnait. Il y avait près d’un quart d’heure qu’elle marchait, hébétée, n’entendant et ne voyant rien, lorsqu’un bruit de voix qui tombait dans le silence frissonnant de son cerveau, lui fit peu à peu