Page:Zola - Travail.djvu/118

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Des voix se récrièrent, cachant une peur réelle, sous une exagération plaisante.

« Oh ! monsieur le président, vous voulez donc nous faire égorger ? »

Gaume ne répondit que par un geste lent de la main, qui pouvait signifier beaucoup de choses. La sagesse était certainement de ne pas donner, par un procès tumultueux, une importance considérable à des paroles jetées au vent, qui germeraient d’autant plus qu’elles seraient répandues davantage.

Jollivet s’était calmé, mordillant ses moustaches, ne voulant pas contrecarrer ouvertement son futur beau-père. Mais le sous-préfet Châtelard, qui jusque-là s’était contenté de sourire, de son air affable d’homme revenu de tout, s’écria :

« Ah ! comme je vous comprends, monsieur le président ! Vous avez fait là ce que j’appelle de l’excellente politique… Eh ! non, l’esprit des masses n’est pas à Beauclair plus mauvais qu’ailleurs. C’est partout le même esprit, il faut tâcher de s’y accommoder, et le mieux est encore de prolonger l’état de choses actuel aussi longtemps qu’on pourra, car il paraît certain que, le jour ou il changera, il sera pire. »

Luc crut sentir une pointe blagueuse d’ironie, chez cet ancien noceur du pavé parisien, que la sourde épouvante de ces bourgeois de province devait amuser. Toute la politique pratique de Châtelard était d’ailleurs là, dans la plus belle indifférence, quel que fût le ministre qui se trouvât au pouvoir. C’était la vielle machine gouvernementale qui continuait à marcher d’elle-même, par la force acquise, avec des grincements et des heurts, et qui se détraquerait, qui tomberait en poudre, dès que naîtrait la société nouvelle. Au bout du fossé, la culbute, comme il le disait en riant dans l’intimité. Ça marchait, parce que c’était monté ; mais, au premier cahot sérieux, tout