Page:Zola - Travail.djvu/135

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il retomba dans l’exécrable présent, empoisonné d’égoïsme, devenu le champ de bataille exaspéré de toutes les passions mauvaises. Il était quatre heures, et les convives prenaient congé.

Mais ce qui le frappa, ce fut d’apercevoir, un peu à gauche du perron, M. Jérôme dans sa petite voiture. Il venait de rentrer de sa longue promenade, il avait fait un signe au domestique, pour qu’on le laissât un instant à cette place, comme s’il avait voulu assister au départ des invités, dans le tiède soleil, aux rayons déjà obliques. Sur le perron, Suzanne, parmi ces messieurs et ces dames, prêts à partir, attendait son mari qui s’était attardé en compagnie de Fernande. Depuis plusieurs minutes, tous les autres promeneurs étaient là, lorsqu’elle les vit enfin revenir d’un pas tranquille, causant, avec l’air de penser que cette longue solitude à deux était la plus naturelle du monde. Elle ne provoqua d’ailleurs aucune explication, mais Luc s’aperçut bien que ses mains tremblaient légèrement, tandis qu’une amertume douloureuse passait dans ses sourires de bonne hôtesse, forcée d’être aimable. Et ce fut, chez elle, une blessure vive, dont elle ne put s’empêcher de tressaillir, lorsque Boisgelin, s’adressant au capitaine Jollivet, lui dit qu’il irait le voir, pour le consulter et organiser avec lui la chasse à courre, dont il n’avait eu jusque-là que le vague projet. Ainsi, c’était chose faite, l’épouse était battue, la maîtresse l’emportait, en imposant son caprice de dépense et de folie, pendant cette promenade, impudente comme un rendez-vous donné publiquement. Une révolte intérieure souleva Suzanne, pourquoi ne prenait-elle pas son enfant et ne s’en allait-elle pas ? Puis, d’un effort visible, elle se calma, très digne, très grande, gardant l’honneur de son nom et de sa maison, dans son abnégation d’honnête femme, dans ce silence de tendresse héroïque où elle avait résolu de vivre, protégée contre la boue environnante.