Page:Zola - Travail.djvu/154

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cloîtrée de savant, ne s’occupait jamais de politique. Il la méprisait fort, d’une façon injuste d’ailleurs, car il est pourtant nécessaire que les hommes veillent à la façon dont ils sont gouvernés. Seulement du haut de l’absolu où il vivait, il considérait comme négligeables les événements, les accidents d’un jour, simples cahots du chemin. Selon lui, c’était uniquement la science qui menait l’humanité à la vérité, à la justice, au bonheur final, à cette cité parfaite de l’avenir, vers laquelle les peuples se dirigent d’un train si lent et si plein d’angoisse. À quoi bon, dès lors, s’embarrasser du reste ? Ne suffisait-il pas que la science marchât ? Et elle marchait quand même, chacune de ses conquêtes était définitive. Au bout, quelles que fussent les catastrophes de la route, il y avait la victoire de la vie, l’humanité ayant enfin rempli sa destinée. Et, très doux, très pitoyable comme sa sœur, il se bouchait les oreilles à la bataille contemporaine, il s’enfermait dans son laboratoire, où il fabriquait disait-il, du bonheur pour demain.

« Agir, déclara-t-il à son tour, la pensée est un acte, et le plus fécond qui puisse influer sur le monde. Savons-nous les semences qui sont en train de germer ?… Si tous ces misérables me déchirent l’âme, je ne m’inquiète pas, car la moisson doit forcément pousser à son heure. »

Luc, ne voulant point insister, dans l’état d’esprit fiévreux et trouble où il se trouvait lui-même, conta ensuite sa journée du dimanche, son invitation à la Guerdache, le déjeuner auquel il y avait assisté, les personnes qu’il y avait rencontrées, et ce qui s’y était fait, et ce qui s’y était dit. Il sentit parfaitement que le frère et la sœur devenaient froids, se désintéressaient de tout ce monde.

« Depuis qu’ils sont à Beauclair, nous ne voyons que rarement les Boisgelin, expliqua Jordan avec sa tranquille franchise. Ils s’étaient montrés fort aimables à