Page:Zola - Travail.djvu/185

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réalisant pour chacun la somme de bonheur réel qui lui est dû.

Luc ne lisait plus, il réfléchissait. Tout le grand et héroïque dix-neuvième siècle se déroulait, dans sa continuelle bataille, dans son effort si douloureux et si brave vers la vérité et vers la justice. D’un bout à l’autre, l’irrésistible mouvement démocratique, la montée du peuple l’emplissait. La Révolution n’avait amené que la bourgeoisie au pouvoir, il fallait un siècle encore pour que l’évolution s’achevât, pour que tout le peuple eût sa part. Les semences germaient dans le vieux sol monarchique, sans cesse éventré ; et, dès les journées de 48, la question du salariat se posait nettement, les revendications des travailleurs se précisaient de plus en plus, ébranlaient le nouveau régime bourgeois, qui possédait, et que la possession égoïste, tyrannique, pourrissait à son tour. Et, maintenant, au seuil du siècle prochain, dès que la poussée croissante du peuple aurait emporté la vieille charpente sociale la réorganisation du travail serait le fondement même de la société future, qui ne pourrait être que par une juste distribution de la richesse. Toute la nouvelle étape, nécessaire et prochaine, était là. Lorsque l’ancien monde était passé de l’esclavage au salariat, la violente crise qui avait fait crouler les empires n’était rien à côté de la terrible crise actuelle, qui depuis cent ans secouait et ravageait les peuples, cette crise du salariat évoluant, se transformant, devenant autre chose. Et c’était de cette autre chose que devait naître la Cité heureuse et fraternelle de demain.

Doucement, Luc posa le petit livre, souffla la lumière. Il avait lu, il était calmé, il sentait renaître le sommeil paisible et réparateur. Ce n’était pas que des réponses nettes se fussent formulées aux questions pressantes, aux appels d’angoisse, venus des ténèbres, qui l’avaient bouleversé. Mais ces cris d’appel ne retentissaient plus,