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LES QUATRE ÉVANGILES

Il ne répondit pas, voulut passer outre.

— Si tu ne rentres pas tout de suite, donne-moi au moins la clef… Depuis ce matin, nous sommes à la rue, nous n’avons pas mangé une bouchée de pain. 

Du coup, il éclata.

— Fiche-moi la paix, hein ! As-tu fini de me cramponner ?

— Pourquoi as-tu emporté la clef, ce matin ?… Je ne te demande que de me donner la clef, tu rentreras quand tu voudras… Voici la nuit, tu ne veux pas que nous couchions sur le trottoir.

— La clef ! la clef ! je ne l’ai pas, et je l’aurais que je ne te la donnerais pas… Comprends donc que j’en ai assez, que je ne te veux plus, que c’est trop d’avoir crevé deux mois la faim ensemble, et que tu peux aller voir ailleurs si j’y suis ! 

Il lui criait cela dans la figure, violemment, sauvagement ; et elle, la pauvre petite, frémissait toute sous l’injure, tandis qu’elle s’obstinait avec douceur, avec l’acharnement résigné des misérables qui sentent la terre s’abîmer sous eux.

— Oh ! tu es méchant, tu es méchant… Ce soir, quand tu rentreras, nous causerons. Je m’en irai demain, s’il le faut. Mais aujourd’hui, aujourd’hui encore, donne-moi la clef. 

Alors, l’homme fut pris d’une rage, il la bouscula, la jeta de côté d’un geste brutal.

— Sacré bon Dieu ! la route n’est donc plus à tout le monde !… Va te faire fiche où tu voudras ! Je te dis que c’est fini ! »

Et, comme le petit Nanet, en voyant sa grande sœur éclater en sanglots, s’avançait de son air décidé, avec sa tête rose, aux blonds cheveux embroussaillés :

— Ah ! le môme à présent, toute la famille sur mes bras ! Attends, vaurien, je vas te mettre mon pied quelque part !