Page:Zola - Travail.djvu/206

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par là même, est rejeté comme inutile et gênant, doit céder la place au travailleur nécessaire, indispensable. Telle est l’unique loi de la vie, qui n’est en somme que la matière en travail, une force en perpétuelle activité, le dieu de toutes les religions, pour l’œuvre finale du bonheur dont nous portons en nous l’impérieux besoin. »

Un instant encore, Jordan rêva, les yeux au loin.

« Et quel admirable régulateur que le travail, quel ordre il apporte, partout où il règne ! Il est la paix, la joie, comme il est la santé. Je reste confondu, lorsque je le vois méprisé, avili, regardé ainsi qu’un châtiment et qu’une honte. S’il m’a sauvé d’une mort certaine, il m’a donné encore tout ce que j’ai de bon en moi, il m’a refait une intelligence et une noblesse. Et quel admirable organisateur il est, comme il règle les facultés de l’intelligence, le jeu des muscles, le rôle de chaque groupe dans une multitude de travailleurs ! Il serait à lui seul une constitution politique, une police humaine, une raison d’être sociale. Nous ne naissons que pour la ruche, nous n’apportons chacun que notre effort d’un instant, nous ne pouvons expliquer la nécessité de notre vie que par le besoin où est la nature d’un ouvrier de plus pour faire son œuvre. Toute autre explication est orgueilleuse et fausse. Nos vies individuelles semblent sacrifiées à l’universelle vie des mondes futurs. Il n’est pas de bonheur possible, si nous ne le mettons dans ce bonheur solidaire de l’éternel labeur commun. Et c’est pourquoi je voudrais que fût enfin fondée la religion du travail, l’hosanna au travail sauveur, la vérité unique, la santé, la joie, la paix souveraine. »

Il se tut, et Sœurette eut un cri d’enthousiasme tendre.

« Ah ! frère, comme tu as raison, et que c’est vrai, et que c’est beau ! »

Mais Luc paraissait plus ému encore, resté debout, immobile, les yeux peu à peu emplis de lumière, ainsi qu’