Page:Zola - Travail.djvu/260

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au fond, celle de détruire le commerce. Oui, il s’en vante, il dit tout haut cette monstruosité  : le commerce est un vol, nous sommes tous des voleurs, nous devons disparaître. C’est pour nous balayer qu’il a fondé la Crêcherie.  »

Dacheux, le sang au visage, écoutait avec des yeux ronds.

«  Et, alors comment fera-t-on pour manger, s’habiller et le reste  ?

— Dame  ! il dit que le consommateur s’adressera directement au producteur.

— Et l’argent  ? demandait encore le boucher.

— L’argent  ! mais il le supprime aussi, il n’y aura plus d’argent. Hein  ? est-ce bête  ? comme si l’on pouvait vivre sans argent  !   »

Du coup, Dacheux étranglait de fureur.

«  Plus de commerce  ! plus d’argent  ! il détruit tout, et il n’y a pas de prison pour un bandit pareil, qui ruinera Beauclair, si nous n’y mettons pas bon ordre  !   » Mais Caffiaux hochait gravement la tête.

«  Il en dit bien d’autres… Il dit d’abord que tout le monde doit travailler, un vrai bagne où il y aura des gardes avec des bâtons, pour que chacun fasse sa besogne. Il dit qu’il ne doit exister ni riches ni pauvres, on ne sera pas plus riche en naissant qu’en mourant, on mangera ce qu’on gagnera, ni plus ni moins d’ailleurs que le voisin, sans avoir même le droit de faire des économies.

— Eh bien  ! et l’héritage  ? interrompait de nouveau Dacheux.

— Il n’y aura plus d’héritage.

— Comment  ! plus d’héritage, je ne laisserai plus à ma fille mon argent à moi  ? Tonnerre de Dieu  ! c’est trop fort  !   »

Et le boucher ébranlait la table d’un violent coup de poing.