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d’erreurs et de mensonges, toute la boue inepte qu’on jette au socialisme, en caricaturant ses intentions et en souillant son idéal. Seulement, le succès d’une telle tactique était certain sur de faibles cerveaux ignorants, et ce fut merveille comme le soulèvement gagna de proche en proche, au milieu d’intrigues compliquées, réunissant contre le perturbateur public toutes les classes ennemies, furieuses de se voir dérangées dans leur cloaque séculaire, sous le vain prétexte de les conduire, réconciliées, à la saine, à la Cité juste et heureuse de l’avenir.

Deux jours avant que le procès, intenté à Luc par Laboque, vînt devant le tribunal civil de Beauclair, il y eut à l’Abîme, chez les Delaveau, un grand déjeuner, dont le but secret était de se voir et de s’entendre, avant la bataille. Les Boisgelin se trouvaient naturellement invités, le maire Gourier, le sous-préfet Châtelard, le juge Gaume avec son gendre le capitaine Jollivet, enfin l’abbé Marle. Les dames en étaient, afin que la rencontre gardât son apparence d’aimable réunion intime.

Châtelard, comme il le faisait d’habitude, passa chez le maire, dès onze heures et demie, pour le prendre avec sa femme, la toujours belle Léonore. Depuis le succès de la Crêcherie, Gourier traversait de mauvais moments d’inquiétude et de doute. D’abord, il avait senti, parmi les centaines d’ouvriers qu’il employait, dans sa grande cordonnerie de la rue de Brias, une sorte de vacillement, le frisson nouveau, l’association menaçante. Puis, il s’était demandé si le mieux ne serait pas de céder, d’aider lui-même à cette association, dont le succès le ruinerait, s’il ne s’en mettait pas. Mais c’était là un combat intérieur qu’il tenait caché, car il avait une plaie vive, une rancune qui le faisait l’ennemi personnel de Luc, depuis le jour où son fils Achille, ce grand garçon indépendant, avait rompu avec lui pour