Page:Zola - Travail.djvu/296

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coup. Et Luc avait de la sorte senti sur ses talons tout Beauclair, qui était un monde en raccourci, au milieu du vaste monde. Si, dans son amertume affreuse, il restait brave, résolu à la lutte, il n’en était pas moins mortellement triste, il avait à user, ce soir-là, son grand chagrin, qu’il désirait ne montrer à personne. Pendant ses rares heures de défaillance, il préférait s’enfermer étroitement, il buvait sa souffrance jusqu’à la lie, pour ne reparaître que guéri et vaillant. Et il avait donc verrouillé portes et fenêtres, en donnant l’ordre absolu de ne laisser entrer personne.

Vers onze heures, sur la route, il lui sembla entendre des pas légers. Puis, ce fut comme un appel, à peine un souffle, qui lui donna un frisson. Vivement, il était allé ouvrir la fenêtre, et il regardait entre les lames des persiennes, et il aperçut une ombre fine. Mais une voix très douce monta.

«  Monsieur Luc, c’est moi, il faut que je vous parle tout de suite  » C’était Josine. Il ne réfléchit même pas, il descendit lui ouvrir la petite porte qui donnait sur la route. Et il la fit monter, il l’amena par la main dans sa chambre, si jalousement close, où brûlait une lampe, à la clarté paisible. Puis, là, lorsqu’il l’eut regardée, il fut pris d’une terrible inquiétude, à la voir les vêtements en désordre, le visage meurtri.

«  Mon Dieu  ! Josine, qu’avez-vous donc  ? Que se passe-t-il  ?   »

Elle pleurait, sa chevelure défaite tombait sur son cou, dont le col de sa robe arraché montrait la blancheur délicate.

«  Ah  ! monsieur Luc, j’ai voulu vous dire… Ce n’est pas parce qu’il m’a battue encore, en rentrant, c’est à cause des menaces qu’il a faites… Il faut que vous sachiez, ce soir même.  »