Page:Zola - Travail.djvu/338

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Pourvu que je puisse payer les frais de mes expériences, le reste ira bien.  »

Luc lui avait saisi les mains, qu’il serrait avec une émotion profonde.

«  Mon ami, mon ami… Mais, votre sœur, est-ce qu’elle aussi nous allons la ruiner  ?

— C’est vrai, dit Jordan, nous oublions Sœurette.  »

Ils se tournèrent. Sœurette, silencieusement, pleurait. Elle n’avait point quitté sa chaise, devant la petite table, les deux coudes appuyés, le menton dans les mains. Et de grosses larmes ruisselaient sur ses joues, en une détente éperdue de son pauvre cœur torturé et saignant. Elle aussi, ce qu’elle venait d’entendre l’avait bouleversée, soulevée, au plus profond de son être. Tout ce que son frère disait pour Luc retentissait en elle avec une égale énergie. Cette nécessité du travail, cette abnégation devant l’œuvre n’était-ce pas la vie acceptée, vécue loyalement, pour le plus d’harmonie possible  ? Désormais, elle se serait, comme Luc trouvée mauvaise et lâche, si elle avait entravé l’œuvre, si elle ne s’y était pas dévouée jusqu’au renoncement. Son grand courage de bonne âme, simple et sublime, lui était revenu.

Elle se leva, elle embrassa longuement son frère  ; et, tandis qu’elle restait la tête sur son épaule, elle lui dit doucement à l’oreille  :

«  Merci, toi  ! … Tu m’as guérie, je me sacrifierai.  »

Cependant, Luc s’agitait, dans un nouveau besoin d’action. Il était retourné à la fenêtre, regardant le grand ciel bleu luire sur les toitures de la Crêcherie. Et il en revint, répétant son cri une fois de plus  :

«  Ah  ! ils n’aiment pas  ! Le jour où ils aimeront, tout sera fécondé, tout poussera et triomphera sous le soleil  !   »

Sœurette, qui s’était approchée affectueusement de lui, dit alors avec un dernier frémissement de sa triste chair domptée  :