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une bonne leçon à tous ces révolutionnaires. Nous avons besoin d’un gouvernement solide, qui tape dur, afin de faire respecter ce qui est respectable. »

Lenfant hochait la tête. Son bon sens soupçonneux hésitait à se prononcer. Il partit, emmena Arène et Olympe, en disant :

« Pourvu que ça ne finisse pas très mal, ces histoires entre bourgeois et ouvriers ! »

Depuis un instant, Luc examinait la maison Cadeaux, qui occupait, en face, l’autre coin de la rue de Brias et de la place de la Mairie. Les Caffiaux n’avaient d’abord tenu là qu’une boutique d’épicerie, très prospère aujourd’hui, avec son étalage de sacs ouverts, de boîtes de conserve empilées, de toutes sortes de comestibles entassés, que des filets protégeaient contre les mains agiles des maraudeurs. Puis, l’idée leur était venue d’y joindre un commerce de vin, ils avaient lacé la boutique d’à côté pour y établir un débit de vin-restaurant où ils faisaient des affaires d’or. Les usines voisines, l’Abîme surtout, consommaient une quantité d’alcool effroyable. Un défilé ininterrompu d’ouvriers ne cessait d’entrer, de sortir, surtout les samedis de paie. Beaucoup s’y oubliaient, mangeaient là, n’en sortaient qu’ivres morts. C’était le poison, l’antre empoisonneur où les plus forts laissaient leur tête et leurs bras. Aussi Luc eut-il tout de suite l’idée d’entrer, pour savoir ce qui s’y passait, et c’était bien simple, il n’avait qu’à y dîner, puisqu’il devait dîner dehors. Que de fois, à Paris, sa passion de connaître le peuple, de descendre au fond de toutes ses misères et de toutes ses souffrances, l’avait fait s’attarder des heures dans les pires bouges !

Tranquillement, Luc s’installa devant une des petites tables, près du vaste comptoir d’étain. La salle était grande, une douzaine d’ouvriers consommaient debout, tandis que d’autres, attablés, buvaient, criaient, jouaient