Page:Zola - Travail.djvu/345

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comme si on était à cheval, sur un très haut cheval qui serait en pierre.

— Nise, écoute, tu veux que je me mette tout debout  ?

— Oh  ! tout debout  ! je vas m’y mettre avec toi, Nanet  !   »

Mais ça remua de nouveau dans le jardin, cette fois du côté de la cuisine  ; et, saisis d’inquiétude, ils se prirent à bras-le-corps, ils dégringolèrent l’un dans les bras de l’autre, en se serrant de toutes leurs forces. Ils auraient pu se tuer, mais ils riaient comme des fous, et quand ils furent par terre, ils y restèrent à jouer, à rire plus fort, sans le moindre mal, enchantés de leur culbute. Déjà Paul et Antoinette, Lucien et Louise s’amusaient follement à courir parmi les broussailles et les roches éboulées, qui ménageaient là au pied des monts Bleuses, des trous délicieux.

Et Luc, trouvant qu’il était trop tard pour intervenir, prit le parti de s’en aller doucement, sans faire de bruit. Puisqu’on ne l’avait pas vu, on ne saurait pas qu’il avait fermé les yeux. Ah  ! les chers enfants, qu’ils cédassent donc à la flamme de leur jeunesse en se rejoignant ainsi sous le libre ciel, malgré les défenses  ! Ils étaient la floraison de la vie qui savait bien pour quelles moissons futures elle fleurissait ainsi en eux. Ils apportaient peut-être la réconciliation des classes, le demain de justice et de paix. Ce que les pères ne pouvaient faire, eux le feraient, et leurs enfants le feraient plus encore, grâce au continuel devenir de l’évolution qui battait dans leurs veines. Et Luc, en se cachant, pour s’éloigner sans leur causer d’inquiétude, riait gaiement tout seul de les entendre rire, insoucieux de la difficulté qu’ils auraient bientôt à repasser le mur. Jamais un tel espoir ne lui était venu de l’avenir entrevu et si bon, jamais il ne s’était senti un tel courage pour la lutte et pour la victoire.

Alors, ce fut la lutte pendant de longs mois, la lutte acharnée, sans merci, entre la Crêcherie et l’Abîme. Luc, qui